joe • j'ai comme envie de n'importe quoi, comme envie de crever ton chat

✿ Dis moi mon p'tit champignon. T'es né ici ou pas ? Tu viens d'où sinon ? T'aimes le coin ou pas du tout ?
Arrivée à l'âge de douze ans à Eastcliffs, j'avais déjà vécu huit déménagements avant celui là. Mon père s'était engagé dans la Marine après le lycée, et y il y a fait une belle carrière, notre famille déménageant au fil de ses nouveaux postes, dus à de nouveaux titres. On se rapprochait de ses bases à chaque fois, pour le voir un peu plus souvent, même si ses horaires variables et ses longues missions en sous-marins en ont fait le grand absent de la famille, pendant quelques temps. Nous avons ainsi visité toute l'Irlande, en restant en moyenne un à deux ans dans chaque destination : née à Dublin, l'année suivante j'étais déjà à Cork, puis à Galway, à Drogheda, à Limerick, à Wexford, à Tralee, à Sligo, à Athlone, et pour finir à Dungarvan. Des plus ou moins grandes villes, dans lesquelles je n'arrivais pas à trouver ma place, et me laissant donc un mauvais souvenir pour la plupart. Nous avons déménagé à Eastcliffs lorsque mon père a pu prendre sa retraite anticipée, pour bons et loyaux services. Cette ville, c'était la première fois, dans toute ma vie, qu'on s'installait quelque part pour y rester. Alors, même si ce n'est pas la ville où je suis née, elle reste ma ville de cœur, celle où j'ai vécu toutes mes premières fois, où je me suis construite et où nous formions enfin une vraie famille unie. Ce petit coin de paradis a fait de moi ce que je suis, avec ses habitants, ses valeurs et son mode de fonctionnement, et j'y suis passionnément attachée, au point que je ne peux plus m'en passer. Je ne me verrais m'installer nulle part ailleurs, j'aurai mis douze ans à le trouver, mais c'est mon chez-moi.

✿ T'sais, j'aimerais bien que tu me parles un peu de ta vie. Tu fais quoi de ton temps libre ? Et ton métier c'est quoi ?
J'ai une chance inouïe, qui m'est tombée dessus par hasard, je suis "coach de vie", dans une entreprise créée par un ami d'enfance, et je ne travaille qu'avec des amis. Mon métier consiste, si je simplifie, à apprendre aux gens des bases simples sur la gestion du quotidien, selon leurs besoins. Je ne prétends pas être une spécialiste, et je sais orienter un client vers d'autres personnes, si sa demande devient trop spécifique et requiert plus de connaissances. Moi, j'agis plutôt comme un booster dans la vie des gens, je leur donne les bons conseils et les accompagne dans leur mise en place, mais pas comme un médecin. Par exemple, lorsque j'aide une personne à changer de nutrition, je vais faire les courses avec elle, lui expliquer quels aliments sont bons, et pourquoi, et lui donner les clés des apports dont son corps a besoin, avant de cuisiner quelques recettes ensemble, mais je ne vais pas lui prescrire un régime, ni vérifier qu'elle applique un traitement. Le but est que les clients soient autonomes, dans leur quotidien. Cela est valable pour tous les autres types de coaching : sportif, en organisation et rangement, sur le style vestimentaire, de séduction,... L'objectif reste le même, mais les actions changent tout le temps, s'adaptant aux clients et à leurs demandes. C'est ça qui est génial avec ce métier, je n'ai pas le temps de m'ennuyer, puisque je change constamment de clients et d'activités.
Lorsque je ne travaille pas, je fais régulièrement du sport : en salle, du vélo, de la natation ou de la course, pour m'entretenir, je sors souvent avec mes amis, je passe très souvent saluer mes parents, je profite souvent de l'extérieur en fait, mais quand je reste chez moi, ce qui est plus rare, je fais des achats déraisonnables sur internet, je fais du point de croix, je chante à tue-tête en sautant sur mon lit, je lis, j'écris un article sur une de mes dernières lectures sur mon blog, je fais un gâteau ou toute autre recette sucrée, je joue aux jeux-vidéos, je surveille mes réseaux sociaux, je dresse l'un de mes deux chiens, j'apprends le piano avec celui de ma cousine ou j'apprends l'italien avec des séries médiocres mais rigolotes. Je fais sûrement plein d'autres choses auxquelles je ne pense pas, mais il faut toujours garder une part de mystère de toute manière.
Côté famille, avec qui je passe beaucoup de mon temps libre, que ce soit par les réseaux, comme en présentielle, je suis très proche de mes parents, à qui je peux parler de tout, et demander n'importe quel conseil ou quelle aide. J'ai une énorme reconnaissance envers eux, et tout ce qu'ils ont fait pour nous, leurs enfants. Ma mère nous a élevé au foyer sans relâche, nous permettant d'acquérir une bonne éducation, et mon père a travaillé comme un fou pour nous permettre l'accès à tout ce qu'on désirait. Celui-ci ayant été absent durant douze ans, j'essaye de partager le maximum de choses avec lui aujourd'hui, et passe sûrement plus de temps avec lui, même si je n'ai aucune préférence entre mes deux parents. J'ai une sœur aînée, et personne ne pourrait deviner notre lien, car nous sommes exactement opposées : physiquement, belle brune au style plus classique, comme mentalement. D'un tempérament doux, calme, c'est le génie de la famille, qui a su créer son cocon et démarrer sa vie d'adulte depuis bien longtemps. J'ai de l'admiration pour elle, et le fait qu'on soit si différentes permet qu'on se complète parfaitement, disant toujours qu'à nous deux, on a le cerveau parfait. Elle ressemble plus à notre mère, et a pris ce rôle protecteur envers nous, ses cadets, car j'ai aussi un petit frère. Lui, c'est la terreur de la famille, il n'écoute jamais rien ni personne, et est tout le temps de mauvaise humeur, comme si l'adolescence n'allait jamais prendre fin pour lui. Il vit toujours chez nos parents, et nous reproche souvent de le traiter comme un bébé, mais on ne peut pas le voir grandir, c'est le petit dernier. Malgré qu'on donne souvent l'impression d'être comme chien et chat, lui et moi, on tient énormément l'un à l'autre, on ne sait juste pas se le dire, aussi pudique l'un que l'autre.

✿ J'suis pas psy mais bon, si t'as besoin, tu peux tout me raconter. J'suis commère. Tu le sais ?
Je vais te faire voyager dans les moments les plus significatifs, représentatifs, ou marquants de ma jeune existence, tiens-toi prêt, la machine est partie...
septembre 95 - maison familiale, wexford
Leur père avait promis de rentrer en permission, auprès d'eux, d'ici peu, alors, depuis quelques jours, les filles ne faisaient qu'attendre. Leur mère ne réussissait plus à les décoller de la porte, qu'elles guettaient sans cesse. Elles faisaient toutes leurs activités dans l'entrée, et refusaient de la quitter, de peur de manquer son retour. Un samedi matin, assez tôt, elles entendirent un gros véhicule monter sur le trottoir, devant leur maison. Elles se ruèrent aux fenêtres, observant ainsi que la jeep noir était décorée d'écharpes aux couleurs de la Marine, et que les deux hommes qui en descendaient portaient le même uniforme que leur père. Son aînée sentit immédiatement que cela ne présageait rien de bon. "Je vais chercher maman, tu devrais aller m'attendre dans ma chambre." "Pourquoi ?" demanda simplement la petite blonde mais, trop tard, sa sœur étant déjà partie et la sonnette retentissant. Ne se départissant pas de sa curiosité, elle n'hésita pas à ouvrir, pour se retrouver face à deux géants. "Pourquoi il est pas là mon papa ?" C'est à ce moment que sa mère arriva, les yeux déjà embués et l'air anxieuse, et que sa sœur la tira en arrière par son tee-shirt pour l'emmener un peu plus loin. L'attitude de sa mère et de sa sœur commençaient à l'inquiéter, même si elle sentait bien que ce n'était pas le moment de protester. Elles ne comprenaient que des bribes de la conversation, et sa sœur chantait une chanson, pour occuper son attention. Elle avait toujours eu une voix douce et apaisante. Une fois les militaires repartis, sa mère leur expliqua calmement que leur père avait eu un accident, l'air rassurée, comme si on lui avait enlevé un poids. Apparemment, un dysfonctionnement du sous-marin avait provoqué une petite explosion d'un tuyau, tout près de sa jambe gauche, et toute la pièce semblait plus calme et rassurée. Cela perturbait complètement la petite Joe, qui ne voyait absolument pas l'accident de son père d'un œil heureux. Elle se mit à pleurer d'un coup, sans que personne ne puisse l'arrêter ni la rassurer. Il fallut attendre un bon moment avant de réussir à traduire ses balbutiements d'enfant en sanglots. "Bous... jêtes condendes... de l'aquchident." Il fallut encore de la patience à sa sœur et à sa mère pour lui faire comprendre qu'elles étaient simplement rassurées qu'il ne soit rien arrivé de plus grave, étant donnée la signification de la venue des collègues, en règle générale. C'est depuis ce jour que sa mère n'a cessé de tourmenter son père pour qu'il prenne sa retraite, et qu'il revienne auprès d'elles. Il faudra presque six ans avant qu'il ne craque, l'obstination étant un trait de caractère dominant chez le chef de famille.

octobre 97 - jardin, tralee
Leur mère était sur la fin de sa troisième grossesse, et avait demandé à ses filles d'enregistrer une petite vidéo, pour le futur bébé à venir. Elles avaient tellement hâte de l'accueillir qu'elles voulaient toujours se rendre utiles. Sa sœur avait déjà eu l'habitude de prendre le rôle de l'ainée, et on avait bien expliqué à Joe qu'elle ne serait plus la petite dernière, qu'elle devrait être plus grande, plus autonome et plus responsable maintenant, ce à quoi elle se sentait prête. Les deux filles avaient évidemment choisi le jardin pour leur message à leur petit frère.

été 2003 - chambre de joe, eastcliffs

octobre 2014 - extérieur, eastcliffs